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Essai Chenard & Walcker 1500cm3
Retranscription de l’article publié dans La Vie Automobile, le 25 septembre 1929.
Auteur : Marc Chauvierre
Nous sommes en 1929, « Le Tank » est-il le compromis idéal entre « tourisme » et « sport » ? On s’en rapproche en tout cas, si on en croit le journaliste.
« Cet essai a été conduit très vite, mais sans imprudence »
« La traversée de Tours, qui m’a pris exactement 7 minutes »
Surnommé « Le tank » du fait d’un dessin novateur.
N’hésitez pas à nous contacter si vous avez des questions au sujet de l’article.
essai Chenard & Walcker 1500 "Le Tank"
CARACTÉRISTIQUES DE LA VOITURE
Moteur quatre cylindres. 69 X 100.
Cylindrée, 1.500 centimètres cubes. Allumage par batterie.
Bougie: Champion 14.
Carburateur Solex.
Circulation d’eau par pompe.
Embrayage à disque.
Boîte de vitesses formant bloc avec le moteur.
Quatre vitesses et marche arrière.
Châssis surbaissé, point le plus bas à 230 millimètres au-dessus du sol.
Pont arrière type « banjo ».
Démultiplication 10/36.
Pneus 12 x 45.
Suspension par quatre ressorts droits complets.
Direction à droite.

Un de mes amis qui a fait pas mal d’auto m’a proposé cette définition de la voiture de sport :
« Une voiture de sport, ce n’est pas une voiture qui va vite, c’est une voiture qui ne peut pas aller doucement. »
Il faut reconnaître que beaucoup de voitures de sport justifient cette définition. Ce sont des voitures capricieuses, qui, pour gagner quelques kilomètres sur une voiture ordinaire, vous obligent à conduire en ayant tout le temps recours au changement de vitesse et à maintenir le moteur toujours à un régime élevé, sous peine de ne pas avancer, ou bien encore, ce qui est pire, d’encrasser les bougies.
Qui n’a pas connu le cauchemar des bougies sur un moteur poussé ?
Mettez-vous des bougies chaudes, vous n’encrasserez pas, mais vous ne pourrez pas tourner vite, vous ferez de l’auto-allumage. Mettez-vous des bougies froides, vous ne ferez pas de l’auto-allumage, mais vous encrasserez dès que vous tournerez au ralenti.
Ces petits inconvénients ont écœuré bien des automobilistes des voitures de sport aux moteurs poussés, et c’est aussi pourquoi, lorsque j’ai pris la 1.500 Chenard et Walcker surbaissée pour en faire un essai sérieux, j’ai pris la précaution de mettre une salopette.
J’avais tort. J’aurais aussi bien pu m’habiller en smoking.
En effet, la première impression, que l’on a en prenant la 1.500 Chenard et Walcker, c’est que c’est une voiture de sport qui peut aller doucement. Mais est-ce une voiture vite ?
J’ai fait Paris-Bordeaux à 90 de moyenne, ce qui est, de toute ma vie d’automobiliste, ma meilleure moyenne sur route.
Voici d’abord les chiffres relevés au cours de cet essai.
ITINÉRAIRE DE L'ESSAI
Paris, Bordeaux, par Chartres, Tours, Angoulême, Barbezieux, Bordeaux. Distance, comptée entre la porte de Saint-Cloud et le pont de pierre à Bordeaux’ : 550 kilomètres.
Je dois d’ailleurs signaler que la route Paris-Bordeaux est la route idéale pour faire un essai de vitesse. Jusqu’à Chartres, la route est relativement tortueuse, de même entre Cavignac et Bordeaux; mais, entre Chartres et Cavignac, on peut dire qu’elle se compose de magnifiques tronçons de ligne droite, mais séparés par des villes dont la traversée vous force à ralentir considérablement si l’on veut respecter les règlements et éviter les contraventions.
Le diagramme de marche de cet essai est donné par le schéma de la figure 1. On remarque que la marche fut assez régulière. La moyenne entre villes, entre Chartres et Cavignac, a toujours été supérieure à 100, mais la traversée des villes faisait baisser considérablement cette moyenne (je tiens à insister sur le point suivant: cet essai a été conduit très vite, mais sans imprudence).
Par exemple, on remarque qu’entre Vendôme et Châtellerault, la moyenne baisse notablement, alors que la roule est toujours aussi bonne. Pourquoi cela ? Parce qu’il y a la traversée de Tours, qui m’a pris exactement 7 minutes pour 3 kilomètres. Déduisez ces 7 minutes du temps Vendôme-Châtellerault (en raccourcissant la distance de 3 kilomètres), et la moyenne passe de 87 à 94 kilomètres.
Lorsque l’on conduit à grande vitesse, le moindre ralentissement fait très rapidement tomber la moyenne.
Au cours de cet essai, un seul arrêt de ravitaillement à Châtellerault. Aucun incident de route.

Vitesse Maximum
Pare-brise levé : moyenne de quatre essais, 122km,500. ‘ Pare-brise baissé : 126km« ,250, moyenne de deux essais (essais sur la route Bordeaux-Arcachon, aux environs de Marcheprimc, temps pris au chronomètre).
Accélération et décélération
Les Chenard et Walcker ont toujours eu de très bons freins, et la 1.500 sport ne fait pas exception à la règle. Une voiture vite doit avoir de très bons freins ; ceux de la 1.500 Chenard et Walcker sont excellents, comme le montre la courbe de freinage ci- jointe.
Les accélérations sont aussi remar quables. Il ne faut pas oublier que la 1.500 Chenard cl Walcker est une voiture peu démultipliée; c’est pourquoi la courbe de démarrage monte très vile sur les vitesses inférieures. En prise directe, il est évident que l’accélération est moins élevée.
Observations générales
Si la 1.500 Chenard et Walcker permet Ces résultats, il n’y a cependant pas de miracle.
Cette voiture a été dessinée par Henri Toutée, un de nos meilleurs techniciens de l’automobile et auquel Chenard doit tant de succès sportifs. Or, justement parce qu’il avait dessiné des voitures de courscpour la course, Toutée n’a pas voulu que la 1.500 Chenard et Walcker soit une voiture spéciale : il a voulu que ce soit une voiture de client.
Pour faire une voiture de sport, il faut des chevaux si l’on veut aller vite. En général, pour obtenir des chevaux, on augmente le régime du moteur; cela nous mène à 4.000, 5.000 ou 6.000 tours, et un moteur qui tourne à 6.000 tours n’est pas un moteur de client. Comment faire ?
La puissance d’un moteur est égale au produit du couple par la vitesse angulaire. Dans la 1.500 Chenard et Walcker, c’est le couple que l’on a travaillé. Comment cela ? En faisant respirer le moteur ; en remplissant complètement les cylindres, cela sans compresseur, mais tout simplement en utilisant une soupape d’admission d’un diamètre considérable, qui occupe presque tout le dessus du cylindre. La soupape d’échappement est en chapelle. La culasse est, bien entendu, une culasse à turbulence.
Chenard et Walcker a ainsi un moteur dont le maximum de puissance est à moins de 4.000 tours, mais qui a un couple d’un moteur de 2 litres.

Une conséquence de cette formule est la suivante : comme l’on dispose d’un couple élevé, il est possible d’utiliser dans le pont arrière une faible démultiplication. Alors que la plupart des voitures ont un pont dont le rapport est d’environ 1/5, la Chenard et Walcker a un pont qui a un rapport <1 environ 1/3.5 ; avec un faible régime, la voiture va vile Pt. en même temps. lorsque la voiture parcourt 1 kilomètre, le moteur fait peu de tours, donc la «cylindrée-kilomètre» est faible. Or, vous n’ignorez pas que la consommation d’une voiture dépend principalement de la cylindrée-kilomètre.
Voilà une des raisons pour lesquelles la 1.500 Chenard et Walcker est particulièrement sobre.

Mes lecteurs m’excuseront de cette petite digression qui sort un peu du sujet de l’article, mais j’ai tenu à expliquer autant que possible les résultats obtenus avec le tank Chenard et Walcker.
Bien entendu, les qualités accessoires de la voiture n’ont pas été négligées, mais il en est une sur laquelle je voudrais insister tout particulièrement : c’est la tenue de route de cette voiture. Cette tenue de roule exceptionnelle est duc au surbaissage du châssis et à la répartition des masses. Grâce à cela, la moyenne a relativement peu baissé dans les virages découverts entre Cavignac et Bordeaux. On a toujours l’impression d’être accroché au sol. Si l’on va trop vite, la \oiturc chasse, mais à aucun moment on n’a l’impression que l’on va se retourner, comme cela se produit avec les voitures qui ont un centre de gravité trop haut placé.
Ne croyez pas pour cela que le tank Chenard et Walcker traîne par terre : il y a 23 centimètres entre le point le plus bas du châssis et le sol, autant que dans n’importe quelle voiture de série ; seulement, le surbaissage du châssis est rationnel.

Enfin, un dernier mot sur la carrosserie. Il y a des gens qui ne trouvent pas belle la carrosserie du tank Chenard et Walcker. Cela dépend de la conception que l’on a de la beauté. Pour moi, ce qui est utile et pratique est beau. Or, grâce à la carrosserie
Chenard et Walcker, vous allez vite, avec peu de chevaux. Vous consommez peu d’essence et, contrairement à la plupart des voitures de sport, vous avez plus de place qu’il n’en faut dans la carrosserie. A Arcachon, j’ai constamment utilisé cette voiture avec trois personnes à bord, assises confortablement de front sur la banquette avant. Je préfère cela à une carrosserie de concours d’élégance où l’on ne peut s’asseoir à deux. Après l’essai de la 1.500 sport Chenard et Walcker, je n’ai eu qu’un regret : celui de rendre cette voiture à la maison qui me l’avait prêtée.
Marc Chauvierre.